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Bienvenue dans « L’échappée rakugo », la rubrique qui va vous permettre de tout savoir sur le rakugo alors que vous n’avez jamais osé le demander.
Pour les apprenants en japonais, vous pouvez travailler votre lecture de kanjis sur la page en japonais de ce site et retrouver – à quelques mots près – le même article dans la langue de Mishima. Avec un peu de chance, le rythme de ce blog devrait être régulier, à raison d’un post par mois.
Pour ce premier billet, je ne pouvais pas éviter de parler de notre sempai à tous – rakugoka ou rakugo performers non-japonais – le « conteur aux yeux bleus » Henry James Black, plus connu sous le nom de scène Shodai (1e du nom) Kairakutei Black.
De nationalité anglaise, Black est né en Australie le 22 décembre 1858. Il vient s’installer avec sa famille à 7 ans dans la ville de Yokohama et sera un des premiers talento étranger de l’époque Meiji à faire le lien entre le Japon et l’Occident.
Black n’était pas que rakugoka mais aussi acteur de Kabuki et maître de Kôdan (une autre forme de conte oral traditionnel).
En 1886, il rejoint la famille (artistique) du grand maître de rakugo Sanyûtei Enchô. Son niveau de japonais étant loin d’être mauvais, Black traduit et adapte des œuvres de la littérature occidentale et des pièces classiques de la littérature anglaise pour en faire des pièces comiques du « répertoire nouveau » (shinsaku) qu’il interprète devant des foules de Japonais en délire, comme « Le zoo » ou encore « Tameshizake », inspiré de l’histoire « Drinking Beer for a stake » qui se jouent encore de nos jours.
Les dons de conteur de Black lui permettent de divertir ses contemporains mais aussi de les faire réfléchir. La révolution industrielle du 19e siècle en Angleterre sera un de ses thèmes de prédilection et dans des versions adaptées d’ « Oliver Twist » ou de « Flower and Weed » de Mary Braddon, il saura mettre le doigt là où ça fait mal en dénonçant, par exemple, l’exploitation des enfants et des femmes au travail.
Parfait représentant de l’Occident dans un Japon à l’affût de toutes les nouvelles technologies, Black jouera un rôle important dans l’importation de la sténographie – une technique qui permettra notamment de donner naissance au premier livre de rakugo (la fameuse « Histoire du fantôme à la lanterne en forme de pivoine » Kaidan Botan Dôrô de Sanyûtei Enchô) – et sera le premier à enregistrer des rakugoka sur phonogramme.
Mais à l’aube du XXe siècle, avec la modernité et l’arrivée de nouvelles formes de divertissement, le public va de moins en moins écouter de rakugo et quelques 150 yose (théâtres de rakugo) ferment définitivement leurs portes en l’espace de 10 ans. Black perd de sa superbe et de sa popularité.
En 1908, il tente de se suicider à l’arsenic. Sans argent et sans travail, il survit en donnant des cours d’anglais et en se produisant parfois comme benshi (la voix qui accompagnait les projections de films muets dans les cinémas).
Deux semaines après le grand tremblement de terre du Kantô, le 23 septembre 1923.
Kairakutei Black 1e du nom ferme à tout jamais ses yeux bleus. Il repose dans le cimetière des étrangers de Yokohama.
Pour plus d’information, je vous recommande la lecture de « In Search of Kairakutei Black » de Ian Mac Arthur, en anglais.
Et si vous butez sur la langue de Shakespeare, alors jetez-vous sur celle de Molière avec un bonus consacré à Black dans l’ouvrage « Histoires tombées d’un éventail » de Sandrine Garbuglia (sur lequel j’ai participé en tant que traducteur).