Cyril COPPINI

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L'échappée rakugo

Les origines du Rakugo
La légende de la grotte céleste

Temps de lecture: environ 4 min

La plus simple définition du Rakugo est « art traditionnel japonais », au même titre que le Nô, le Kabuki ou le Bunraku (théâtre de poupées).

Quand on aligne et regarde des photos de ces quatre arts, on est frappé par l’extravagance du maquillage du Kabuki, la beauté des masques de Nô, l’éclat des kimonos des poupées du Bunraku.
En comparaison, le Rakugo, représenté par un homme (ou une femme) assis sur son gros coussin (zabuton) dans un kimono aux couleurs relativement ternes – en tout cas discrètes – semble être le parent pauvre de ces arts traditionnels.
Pourtant, c’est lui le plus populaire.
En ce sens qu’il touche toutes les couches de la population et couvre tous les âges – de 7 à 77 ans – pour reprendre une formule célèbre.
Alors, quelle est l’origine du Rakugo et des autres arts traditionnels ?
Pour cela, il faut se pencher sur la mythologie japonaise et sur « La légende de la grotte céleste » qui met en scène deux kami : Amaterasu et Susanoo.

Dans le shintoïsme, les kami sont la plupart du temps des éléments de la nature, des animaux ou des forces créatrices de l’univers, mais peuvent aussi être des esprits de personnes décédées.

Amaterasu est le kami du soleil et la mythologie dit que tous les empereurs du Japon l’auraient comme ancêtre. C’est elle qui aurait donné naissance au Japon en versant des larmes qui auraient formé les quatre îles principales de l’archipel : Honshû, Kyûshû, Shikoku et Hokkaidô.
Je suis sûr que certains d’entre vous ont des souvenirs de leurs cours de géo du lycée qui ressortent.

Susanoo, lui, dans le shintoïsme, c’est le Dieu des tempêtes et le frère d’Amaterasu.
C’est surtout un sauvageon et un gros bagarreur.

Amaterasu ne le supporte plus. Pour ne plus subir ses excès de colère, elle décide de s’enfermer dans une grotte…
Oui mais… Il n’y aura plus de soleil de Terre.
Qu’à cela ne tienne !
Tant pis si le monde est plongé dans les ténèbres et si la mauvaise fortune s’abat sur les hommes.

Les autres kami sont mal barrés. Ils se réunissent fissa et doivent trouver rapidement une solution pour persuader Amaterasu de sortir de sa grotte.
Toutes les propositions sont aussitôt mises en pratique.

1- On fait chanter un coq.
2- On accroche deux des Trois trésors Impériaux à un arbre : le magadama qui illustre la bienveillance et la faculté d’apprendre et le miroir de bronze qui symbolise la sagesse et la faculté de comprendre.
3- On demande à deux kami, Amenokoyane et Futodama de chanter des prières ritualisées à l’attention d’Amaterasu

Amaterasu ne bronche pas.

C’est la dernière tentative qui réussira à la faire sortir de sa grotte.
Amenoozume monte sur un tonneau qu’elle a retourné et se met à danser comme une folle, ce qui provoque le fou rire des autres kami. Amaterasu, intriguée, se demande pourquoi les kami rient à gorge déployée alors les ténèbres règnent désormais sur le monde. Amenoozume lui répond : un kami beaucoup plus puissant que toi vient de faire son apparition et apporte de la joie à tous les autres. Amaterasu sort la tête de la grotte pour voir qui est ce kami.
Amenokoyane profite de ce laps de temps pour orienter un miroir vers Amaterasu qui croit que ce kami extraordinaire n’est autre qu’elle-même.
Profitant de ce moment d’incertitude, Amenotajikarao, un kami fort comme un lion, déplace le rocher qui bloque l’entrée de la grotte.

La lumière revient sur Terre, tout le monde est heureux.

On trouve cette légende dans le Kojiki (Chronique des faits anciens) et le Nihon shoki (Annales ou Chroniques du Japon).
Ces recueils de mythes décrivent chacun l’origine de la famille impériale japonaise et contiennent des informations relativement complètes à propos de l’histoire ancienne du Japon.
La danse d’Amenoozume y est expliquée avec le mot en japonais ancien « Wazawoki »わざをき.
Beaucoup plus tard, on « collera » sur ce mot deux kanji qui deviendra au fil des siècles le mot « acteur » haiyû 俳優.

En d’autres termes, l’origine des quatre arts traditionnels japonais pourrait bien se trouver dans la définition de « wazawoki » : faire plaisir aux autres, jouer au kami, c’est l’assurance que ceux-ci vous apporteront le bonheur.
Par extension, on peut aussi analyser la fameuse expression « Warau kado ni wa fuku kitaru » (笑う門には福きたるle bonheur vient à ceux qui savent rire) comme suit : les kami viennent à la rencontre de ceux et celles qui rient.

À suivre

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