Cyril COPPINI

OFFICE

L'échappée rakugo

De l’apprentissage du japonais à la voie du rakugo

Temps de lecture: environ 4 min

L’apprentissage du japonais est un long chemin que j’ai emprunté au lycée, dans ma ville natale de Nice. J’étais âgé de 15 ans. C’était rare à l’époque de pouvoir apprendre une langue asiatique au lycée, dans une ville de province. Si j’ai décidé de me mettre au japonais, ce n’était pas pour lire des mangas ou regarder des anime en version originale mais plutôt parce que je trouvais les kanas et les kanjis relativement esthétiques, certainement parce que pendant toutes ces années, je n’avais vu et lu que les 26 lettres de l’alphabet. Maintenant que j’y pense, je crois que la vraie raison est simplement que j’aime bien l’idée de ne pas faire comme les autres (à Nice, il y avait peu de débouchés professionnels, à part dans le tourisme ou la médecine, ce qui ne me convenait pas).

En dernière année de lycée, j’étais un vrai kanji freak. Je voulais en apprendre toujours plus et mon professeur m’a alors conseillé de m’inscrire après le bac à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO).
Problème : cette école de très haut niveau est à Paris. Paris… Pour un gars du sud (et fier de l’être !), ce n’est pas la destination idéale (une peu comme Tokyo pour les gars d’Osaka). Mais bon… Si c’est le prix à payer pour apprendre le japonais, allons-y.
En 4e année de « Langues’O », on m’informe que le gouvernement japonais m’octroie une bourse d’étude et que je pars l’année suivante dans une université japonaise pour une durée d’un an.
En octobre 1995, j’arrive à l’université de Shinshû, dans la ville de Matsumoto (à 3 heures de Tokyo), préfecture de Nagano (là où il y a eu les JO d’hiver en 1998). Ce fut une année remplie de découvertes pendant laquelle j’ai honteusement dilapidé ma bourse d’étude en karaoké et izakaya. Mais au moins, j’ai appris à parler japonais.

A l’origine, j’avais décroché cette bourse pour avancer sur mon thème de recherche de mémoire de maîtrise (de master, comme on dit maintenant) : l’unification de la langue parlée et de la langue écrite chez Futabatei Shimei.
Concrètement, Shimei est l’un des précurseurs du roman moderne qui en a bavé pour mettre au point un système de narration réaliste et coucher sur le papier une forme de langue orale (que l’on utilise d’ailleurs encore de nos jours). Shimei, dans ses recherches, a largement été influencé par le rakugo et notamment par la prise en sténographie de « L’histoire du fantôme à la lanterne en forme de pivoine » (Kaidan Botan Dôrô) du grand maître de Meiji, Sanyûtei Enchô.
C’est en étudiant Shimei que je découvre le rakugo. Et que je rame pour m’en faire une idée plus ou moins précise : à l’époque, impossible de googler « rakugo » dans un moteur de recherche et encore plus impossible de trouver des infos en français sur le sujet.

Pendant que je chantais tous les soirs jusqu’au bout de la nuit dans les alpes japonaises, une amie de ma promotion se trouvait à Hiroshima. Loin de nos familles respectives, nous avions prévu de passer les fêtes de fin d’année ensemble.
1e janvier 1996. Je suis à Hiroshima, chez la copine. Le jour de l’an au Japon se passe en famille et tout est fermé. On s’empiffre, on picole et on regarde la télé.
Alors, on fait comme tout le monde. Et soudain, une émission commence. Avec des papis en kimonos hyper colorés, assis sur une pile de zabuton (gros coussin des conteurs) qui en obtiennent en plus ou se les font prendre en fonction de la réponse comique ou pas qu’ils donnent à l’animateur de l’émission. Cette émission s’appelle Shôten.
Je demande à la copine (qui avait déjà séjourné au Japon plusieurs fois et qui était donc mieux renseignée que moi à l’époque) ce que c’est et elle me dit que c’est du rakugo.
Waouh ! C’est du rakugo, ça ?! Rien à voir avec l’image que j’en avais eu en étudiant Futabatei Shimei !
Je crois que c’est ce jour-là que j’ai décidé de me mettre au rakugo.
Et c’est aussi ce jour-là que les ennuis ont commencé…

À suivre

Une des nombreuses couvertures de « L’histoire du fantôme à la lanterne en forme de pivoine » 三遊亭圓朝の「怪談牡丹灯篭」

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *