Dans les yose, chaque rakugo-ka intervient entre 10 et 30 minutes, selon son grade. Quelle que soit la longueur de la prestation, elle est toujours divisée en 3 temps : makura (introduction) ; hondai (histoire) ; ochi (chute).
Je m’avance peut-être mais il me semble que ce rythme ternaire vient du Jo-Ha-Kyû (序破急), un concept de l’esthétique japonais appliqué dans de nombreux arts qui consiste à définir le rythme et le changement de rythmes d’une représentation ou d’un segment de représentation : introduction lente (jo), développement avec accélération (ha), conclusion rapide (kyû).
Makura マクラ
Le conteur parle de la pluie et du beau temps, de l’actualité ou d’un fait divers qui a retenu son attention. C’est un temps de liberté d’expression qui lui permet de prendre la température du public, d’analyser le genre d’histoire (comique, dramatique, surnaturelle…) qu’il va jouer (en évitant une histoire avec un même thème qui pourrait avoir été interprétée précédemment par un autre conteur).
C’est aussi le moment idéal pour expliquer avec des mots d’aujourd’hui certains termes si on prévoit une histoire classique avec des mots que l’on n’utilise plus.
Hondai 本題
Le conteur quitte le vêtement qu’il porte sur son kimono, le haori. C’est une façon de signaler au public que l’histoire commence. Le haori et le kimono ont des fonctions bien précises. Explications ici.
Le conteur interprète tous les personnages de l’histoire. En ce sens, il est difficile de définir le Rakugo comme du « conte », il y a peu de narration et ce sont les personnages qui développent l’histoire. Je préfère donc parler de « conte théâtralisé ».
Le conte tel qu’on le connaît en Occident pourrait se rapprocher plutôt du Kôdan講談, un autre art japonais de la parole.
Voici ce que cela donne dans la pratique :
Kôdan – narration : Nous sommes en février, cette année, l’hiver est moins rude qu’à l’habitude. Un homme – Kumagorô – marche sous le soleil en direction de la maison de son ami Hatsu.
Rakugo – le personnage joué par le conteur parle : C’est chouette, on est en février et il ne fait pas froid du tout… Les rayons du soleil sont très doux… Mais je dois me dépêcher, je suis en retard pour aller voir Hatsu. - Bonjour Hatsu, c’est moi ! - Oh ?! Kuma ! Te voilà… Entre !
D’autre part, pour faire la différence entre les personnages, le conteur va tourner la tête à droite et à gauche.
Ici, une info à retenir qui vous permettra de mieux apprécier le Rakugo : un personnage supérieur de par sa nature, son âge, son grade etc s’exprime toujours vers la droite.
Un samouraï (droite) et sa servante (gauche) ; un père (droite) et son fils (gauche) ; un homme (droite) et un animal (gauche) ; un client (droite) et un vendeur (gauche)… Oui, au Japon le client est toujours supérieur car il n’est pas roi. Il est Dieu ! (Okyakusama wa kamisama da お客様は神様だ).
Exemple en images avec l’histoire On s’fait tourner le chôzu (2016 / Japan Tours Festival). Disponible également en japonais(手水廻し / 2017 / Chiang-mai)
Ochi オチ
Littéralement « la chute ». C’est d’ailleurs le kanji que l’on utilise pour écrire Rakugo, « la parole » Go 語 qui a « une chute » Raku落.
La chute fait donc partie du hondai, de l’histoire. Mais certains conteurs apprécient parfois de faire un lien entre le makura et la chute : le spectateur est d’autant plus agréablement surpris car le makura semble être un moment tout à fait improvisé.
Cette technique était particulièrement appréciée par le grand maître Tatekawa Danshi VIIe du nom (1936-2011) qui a révolutionné le Rakugo classique en y apportant une touche et une vision particulièrement contemporaine.